Ubud, Bali, Indonésie, octobre 2014 – Ça n’arrive que quelques fois, et ça arrive sans vraiment avertir. C’est plus une sensation -très forte par ailleurs- qu’une réalité. Comme dans un rêve d’où l’on se réveille parce qu’on se sent tomber.
Ce soir-là, donc, sur la rue bondée de monde, ça m’est arrivé : je me sentais comme chez moi. Après trois semaines passées à escalader les sentiers montagneux et à explorer les eaux cristallines de Florès, à parcourir les sites fabuleux aux environs de Yogyakarta et à gravir les volcans de Java, nous revenons à Bali, notre point de départ, mais cette fois à Ubud, situé presque au centre de l’île. Avec Julie et le groupe, nous assistons à une représentation de kecak. Il s’agit d’une forme de danse et de drame musical balinais exécutée par un chœur d’une centaine d’hommes, racontant une bataille du Ramayana et se terminant par la danse du feu, qui laisse sans voix.
Coup de théâtre!
À la fin du spectacle, plusieurs membres du groupe décident de rentrer en taxi-moto, mais quelques-uns, comme moi, optent pour la marche. La soirée est chaude et agréable, la lune est suspendue dans le ciel parsemé d’étoiles. Malgré sa vocation touristique, Ubud garde son âme profondément hindouiste, avec ses temples fleuris, ses offrandes déposées à toutes les entrées des demeures, commerces, hôtels, etc. Je remarque qu’autour de moi circulent de plus en plus de résidants de la ville, vêtus du magnifique costume traditionnel balinais. Je traverse une rue où d’un côté, un flot continu d’hommes, de femmes et d’enfants dans leurs plus beaux atours, sort d’un temple à la fin d’une cérémonie pour se rendre de l’autre côté, dans ce qui ressemble à un théâtre couvert au fond duquel est installé un vaste écran de tissu blanc translucide, éclairé par l’arrière.
Avec mes quelques amis et Julie, nous décidons de nous arrêter un peu, car je soupçonne que c’est le début d’une représentation de wayang kulit, ou théâtre d’ombres, spectacle traditionnel mettant en vedette des marionnettes faites de peau de buffle finement ciselée et décorée, manipulées à l’aide de tiges de corne ou de bambou. Le gamelan, constitué d’instruments de percussion traditionnels, s’anime quelque peu, la représentation va commencer. Tout à coup, des ombres apparaissent sur l’écran, des personnages, une maison, des palmiers. Le récit est long et mes amis me quittent un à un. Je décide de rester un peu plus, alors je m’assois à l’entrée du théâtre, à côté de femmes et d’enfants qui écoutent religieusement l’histoire racontée. Je suis fasciné par la douceur qu’ils dégagent. Quelques-uns me sourient discrètement. Je ne suis pas vêtu de leurs beaux vêtements, mais je me sens tout à coup un peu comme eux, un peu balinais.
La lumière de la Lune, presque pleine, dessine mon ombre à mes pieds. Je suis devenu une ombre dans un théâtre d’ombres. Une ombre parmi les ombres. Quelques-uns de mes voisins se lèvent pour rentrer chez eux. Je les imite, heureux d’avoir assisté à un moment du quotidien rituel des Balinais. La nuit est encore chaude; le ciel, toujours étoilé. Je resterais là à le regarder, mais la fatigue m’envahit et je rentre tranquillement à l’hôtel. Il fait noir, mais je connais désormais le chemin vers la maison. La lune m’accompagne et mon ombre s’étire lentement devant moi pour se perdre dans la nuit. Cette nuit-là, je me sentais vraiment chez moi.
André Roy
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