Varanasi, Inde du Nord, octobre 1995 – L’Inde, pays de tous les contrastes. J’ai mis 15 ans avant de décider que j’étais prêt à y mettre les pieds, à me confronter à un monde totalement différent de moi. Le livre Le pèlerinage aux sources de Lanza del Vasto allait être l’inspiration de cette aventure sur le sous-continent.
Maintenant j’y suis enfin, avec un petit groupe de voyageurs et notre guide, Philippe. Déjà quelques jours que nous sommes arrivés, et il fait tellement chaud et humide que toute l’eau que je bois sort par les pores de ma peau. Nous déambulons dans le dédale de Varanasi, connue aussi sous le nom de Bénarès. Mes yeux ne suffisent pas à enregistrer tout ce que je vois, en fait tous les sens sont sollicités, à commencer par l’odorat. Aux effluves d’encens et d’épices se mêlent parfois des relents d’urine et de bouse de vaches, car ces dernières, sacrées, sont omniprésentes et vénérées par la population.
Nous nous dirigeons vers les ghats où ont lieu les crémations. Ces rituels hindouistes teintés d’un tragique exacerbé pour des yeux occidentaux ne laissent pas indifférents. Pour éviter le voyeurisme, nous passons à l’écart des familles éplorées, mais les scènes sont malgré tout poignantes. Nous poursuivons notre chemin vers quelque temple enveloppé d’encens et de fleurs, mais nous allons revenir plus tard sur les rives du Gange, le fleuve sacré, pour assister à un événement qui, encore maintenant dans mon esprit, dépasse mon entendement par ses dimensions.
En fin de journée, j’arrive donc avec le groupe et Philippe aux abords du fleuve. Là, deux Indiens nous attendent dans une grande chaloupe. Nous embarquons un à un, puis quittons la rive en direction du rivage opposé. Nos rameurs ont fort à faire, car le courant du Gange et très puissant et la distance à franchir respectable, malgré tout.
Le temps est étiré par la magie de l’instant : nous sommes sur le grand fleuve sacré de l’Inde et devant nous, sous les rayons du soleil couchant, la ville sainte s’étend avec ses ghats, semblables à des langues qui s’abreuvent à l’eau bénie des dieux. Puis, après quelques manœuvres, nous abordons le rivage opposé, et nous nous dirigeons un peu plus haut sur la colline.
Nous ne sommes pas seuls. Une foule nombreuse, essentiellement locale, converge vers un lieu dont les dimensions me semblent infinies. Tout autour de cet immense terrain, différentes scènes sont installées et plusieurs acteurs costumés se donnent en prestation. Des dizaines, voire des centaines de milliers d’Indiens sont venus entendre et voir les récits du Mahabharata, livre sacré de l’Inde et grand poème épique. Nous nous immobilisons devant une scène pour suivre l’action, bien que ce récit guerrier extrêmement complexe nous échappe un peu. En fait, le spectacle se passe autant, sinon plus autour de moi que sur ces nombreuses scènes. Cette mer d’humains me semble à la fois complètement chaotique, mais étrangement harmonieuse.
En attendant Philippe, qui est allé chercher quelques samossas à grignoter, j’entends au loin un bruit étrange de clochettes mêlées au rythme de tambours. Comme le soleil est maintenant couché, la noirceur et toute cette foule compacte m’empêchent de bien voir ce qui se passe. Je me déplace un peu, sans perdre de vue le groupe, et je peux voir au loin, s’approchant en une procession lente et majestueuse, le Maharaja de Varanasi, assis dans un baldaquin sur un éléphant peint d’arabesques et décoré, suivi de quatre ou cinq autres montures tout aussi colorées. Je reste immobile quelques instants, sans voix. Mes compagnons ont-ils vu ce que j’ai vu? Je me retourne pour les retrouver un peu plus loin et Philippe est déjà arrivé avec les délicieux samossas. Après quelques bouchées, nous devons prendre le chemin du retour, car il est déjà tard, et nos amis indiens nous attendent dans la chaloupe pour retraverser le fleuve.
Ai-je rêvé? Suis-je entré dans un de ces récits fabuleux qui étaient présentés sur scène devant moi? Mais non, me dis-je, c’était bien vrai, car tout est possible, puisque je suis en Inde!
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André Roy