En 2006, une semaine avant mon départ au pays de Gandhi, le diagnostic d’un cancer lymphatique met abruptement fin à mon rêve. Ce n’était heureusement que partie remise. Il était dit que je connaîtrais mon Inde intérieure — souffrance et renaissance — avant de découvrir la misère et la splendeur de l’Inde réelle. Ganesh, le dieu à tête d’éléphant, celui qui pourvoit à la chance, fit en sorte qu’à l’aube de mes 40 ans, en 2008, j’étais rétabli et d’attaque, prêt à découvrir la plus grande démocratie du monde.
L’Inde est un monde à part, un univers en soi. Aux yeux d’un Occidental, rien, dit-on, ne dépayse davantage. On aime ou on déteste. C’est là le cliché associé à un voyage en terre indienne. Pour ma part, j’allais adorer ! Pour qui est curieux, l’Inde est la terre providentielle; celle qui à chaque instant, à chaque détour, offre aux sens son contingent de découvertes. L’Inde ne se compare pas. Rien ne lui ressemble. De là la grande fascination qu’elle exerce sur le voyageur, sur son esprit et dans sa chair.
À cet égard, j’ai été comblé. Je suis passé d’émerveillements en surprises au cours de mes pérégrinations en Inde du Nord au Népal. Voici quelques moments marquants. Alors que mon groupe et moi découvrons les alentours d’Udaipur à bicyclette, je réussis, impénitent flâneur, à perdre le groupe de vue au retour d’un village visité, où nous avions dansé, conviés par les villageois à les accompagner dans leur festivité. Scout dans l’âme, je décide de me fier à mon instinct pour retrouver ma route et retourner à l’hôtel. Grand bien m’en fit! Et me voilà à pédaler seul dans la campagne rajasthanie, à m’imprégner de cette vie rurale plus intensément que si j’avais été en groupe, dans cette campagne aux couleurs de terre détrempée, de vaches sacrées, d’arbres fleuris, de saris flamboyants et de sourires enfantins. Et c’est sous un ciel azuré, émaillé de nuages floconneux que, compas dans l’œil et fier, je suis parvenu à regagner mon hôtel.
Enjambant le Pakistan et l’Inde, dans l’état du Rajasthan toujours, se trouve le désert du Thar. Hier, nous avons dormi à Jaisalmer, la cité fortifiée donnant accès au désert. Nous étions les convives d’un hôte de marque : le prince Vikram en personne. Cinquième propriétaire d’un havelî transformé en hôtel, où nous logions, le prince rajput est le descendant des maharajas qui régnaient sur la cité. Depuis, je peux me targuer d’avoir une fois dans ma vie disputé une partie de ping-pong avec un prince de sang royal ! Certes, il a gagné. Mais je ne pouvais tout de même pas lui faire l’affront de le battre sous son toit! Qui plus est, il avait choisi, le fin renard, le côté le plus avantageux de la table !
On ne saurait passer sous silence la grande pauvreté qui sévit au pays des maharajas. La réalité la plus cruelle à laquelle j’ai été confronté lors de mon séjour est celle de la mendicité enfantine. Rien n’est plus troublant et déchirant que d’être exposé à la misère quand celle-ci emprunte le visage angélique d’une fillette au regard perçant, qui cherche à vous faire comprendre, main à la bouche, qu’elle a faim. Quand, au surplus, la gamine trimballe sur son épaule un bébé en pleurs, la douleur s’immisce en soi et un voyage intérieur débute, dont la quête est le sens de l’existence. Le choc de l’Inde, c’est ce voyage au cœur de soi, à travers les autres. Six ans se sont écoulés depuis mon périple, et je revois toujours cette fillette qui me fit signe à une intersection, alors que j’étais à l’arrêt dans un rickshaw, à Jodhpur.
Ce matin, l’heure solennelle a sonné. Sylvie nous demande de nous mettre sur notre trente-six pour une photo de groupe. L’arrière-plan ne sera rien de moins que spectaculaire puisque derrière nous rayonnera l’illustre Taj Mahal, dans toute son ineffable majesté. Je décide donc, pour l’occasion, de me vêtir de façon princière : je revêts mon churidar (pantalon), mon sherwani (chemise) et mon turban. Ainsi habillé, je ne suis sans doute pas loin de ressembler à Shah Jahan, l’empereur qui fit bâtir ce temple de marbre pour sa défunte femme bien-aimée. L’effet est instantané. Je n’ai pas déjà mis un pied sur la terrasse menant au mausolée que je suis assailli par une horde joyeuse et ininterrompue d’Indiens désireux de se faire prendre en photo à mes côtés, avec, pour fond, ce monument immortel dédié à l’amour ! À cet instant, je suis un peu beaucoup une vedette bollywoodienne.
26 octobre, dans la réserve naturelle de Chitwan, au Népal. Aujourd’hui est une journée historique dans la grande histoire de l’humanité : j’ai 40 ans. Je n’avais pas prévu le coup, mais il s’adonne que pour souligner cet évènement à caractère cosmologique, l’ordre qui régit l’Univers (à moins que ce ne soit encore Ganesh) a voulu que je fête à… dos d’éléphant, dans la jungle, à attendre la venue improbable d’un tigre ! Comme de fait, le prince tigré n’est pas venu. Néanmoins, il a eu la délicatesse de passer le mot à maman rhinocéros et à son gris rejeton qui, eux, sont venus souffler les bougies.
Le voyage touche à sa fin. Je suis à Katmandou, sur Durbar Square, le haut lieu historique et patrimonial de la capitale. Je n’ai toujours pas rencontré la plus belle femme du monde, l’actrice indienne et ex-miss Univers, Aishwarya Rai. Je n’ai pas non plus croisé le chemin d’une jeune et riche princesse hindoue que j’aurais pu épouser pour assurer mes vieux jours. À défaut, j’ai rencontré Sita. Sita est vendeuse de rues. Elle proposait à l’époque des mandalas et des petits sacs souvenirs aux touristes. Elle offre maintenant des colliers. Je ne le savais pas encore, mais Sita et moi allions devenir d’excellents amis. Depuis, nous correspondons régulièrement. En 2009, j’ai accepté de défrayer la scolarisation de sa fille et l’an dernier, grâce à une collecte de fonds, j’ai pu amasser 3200 $ pour lui venir en aide, à la suite du tragique séisme qui a ravagé le Népal, le 25 avril 2015.
Par Daniel Hardy
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